Quels sont les moyens d’action des maires face aux infractions d’urbanisme?

Les violations des règles applicables aux utilisations du sol peuvent être sanctionnées notamment par le juge pénal. Précisément le maire, en sa qualité d’officier de police judiciaire, peut intervenir en cas d’infractions prévues par le  code de l’urbanisme et visées à l’article L 480-1. Il peut ainsi se saisir de lui-même ou à l’initiative d’un tiers. Dans le cadre de ces missions, le maire agit en qualité d’agent de l’État, au nom et pour le compte de l’État.

Il a même ce qu’on appelle une compétence liée dès lors qu’il a connaissance d’une infraction (en ce sens CAA Lyon 19-11-1991 n°89LY014333). Cela signifie qu’il est tenu d’en dresser procès-verbal ou d’en faire dresser procès- verbal par « les officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l’Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire » (art L 480-1 précité).

L’inertie du maire peut engager la responsabilité pour faute de l’Etat. Dans une telle hypothèse, pour contraindre le maire à dresser procès-verbal, il est possible de saisir le juge des référés du tribunal administratif.

Les actes repréhensibles sont visés à l’article L 480-4 du code de l’urbanisme qui sanctionne pénalement l’exécution de travaux sans permis, ou en méconnaissance du permis. En cas de violation des dispositions du règlement du PLU, les mêmes poursuites peuvent être engagées.

Lorsque l’infraction est visible depuis la voie publique, le maire peut exercer son contrôle sans pénétrer sur la propriété privée du contrevenant et peut constater les infractions commises sans requérir l’accord du contrevenant.

L’exercice de ce droit de visite a été réaménagé par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN). Le législateur a modifié les dispositions relatives au droit de visite pour rendre ce dispositif conforme aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les domiciles et les locaux comportant des parties à usage d’habitation ne peuvent ainsi être visités qu’en présence de l’occupant et avec son assentiment. 

En cas de difficulté, l’article L 461-3 du code de l’urbanisme prévoit des mesures spécifiques avec saisine du juge des libertés et de la détention. Ainsi, lorsque l’accès à un domicile ou à un local comprenant des parties à usage d’habitation est refusé, les visites peuvent être autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire compétent. Ce nouveau dispositif peut constituer un frein au constat d’infractions, le juge de la liberté et de la détention n’ordonnant pas automatiquement ce droit de visite, quand bien même il serait sollicité par le premier magistrat d’une collectivité locale.

Enfin, il faut rappeler que les constats d’infractions sont possibles pendant 6 ans après l’achèvement de la construction. Ensuite, la prescription joue son rôle.

Nathalie THIBAUD

Avocat spécialisé en droit de l’urbanisme

Démolition d’une construction pour trouble anormal de voisinage: le juge judiciaire y veille

Le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme (permis de construire, déclaration de travaux…) peut se croire définitivement à l’abri de tout recours une fois son autorisation purgée du fameux recours des tiers pesant sur ce type d’autorisation, qui peut aller jusqu’à la saisine du juge administratif.

Et bien non ! Il faut également compter avec le juge judiciaire dont les pouvoirs sont sans doute plus redoutables que ceux attribués au juge administratif, ce dernier ne pouvant qu’annuler une autorisation mais pas ordonner la démolition d’une construction.

Or, le juge judiciaire dispose de ce pouvoir d’ordonner la démolition d’une construction causant un trouble anormal de voisinage. La cour de cassation l’a rappelé récemment dans un arrêt du 22 octobre 2020 (Cass. 3ème civ. 22-10-2020 n°18-24.439 F-D).

La cour de cassation a été saisie dans ce dossier par les propriétaires d’une résidence secondaire aux fins de démolition d’une surélévation pratiquée sur une construction voisine dont les travaux avaient été autorisés par un permis de construire parfaitement valable. Le juge administratif les ayant débouté de leur recours contre le permis, ils ont alors saisi le juge judiciaire d’une action en trouble de voisinage pour perte d’ensoleillement.

La Haute juridiction a donné raison à ces propriétaires considérant que l’environnement était rural et qu’ils subissaient désormais une ombre portée à compter de 16h en plein été. Le fait que la résidence ne soit que secondaire a été écartée par la Cour.

La sanction peut dont être très lourde.

Ainsi, alors que l’on dispose d’un permis parfaitement légal autorisant l’édification d’une construction, les tiers (les voisins directs) peuvent faire valoir devant le juge judiciaire d’autres règles que les règles d’urbanisme, parmi lesquelles on trouve la théorie du trouble anormal de voisinage.

Cette théorie est issue de la jurisprudence des juridictions civiles. Elle s’appuie sur l’article 544 du Code civil qui dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

La responsabilité du propriétaire d’une construction nouvelle peut être engagée par le voisin (tiers) devant la juridiction civile sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage.

Il s’agit d’une responsabilité objective en ce sens qu’il suffit au voisin de prouver par tous moyens qu’il existe un trouble anormal, qu’il subit un préjudice et qu’il existe un lien de cause à effet ou lien de causalité entre le préjudice et la construction édifiée. L’existence du trouble s’apprécie indépendamment du problème de la régularité de la construction au regard des règles d’urbanisme.

Parmi ces troubles, on peut trouver la perte d’ensoleillement, d’une vue, mais aussi le bruit. Tous ces troubles doivent excéder les inconvénients normaux du voisinage pour pouvoir fonder une telle action judiciaire.

Le juge judiciaire apprécie souverainement le caractère anormal du trouble et son lien direct avec le préjudice. Celui-ci peut-être économique, esthétique ou même moral. La dépréciation du bien est souvent le préjudice retenu.

Il peut ordonner la démolition comme dans l’espèce susvisée, c’est-à-dire une réparation en nature, ou sinon par équivalent avec l’allocation de dommages et intérêts indemnisant le ou les préjudices subis. Il penche plus souvent pour cette solution, la démolition étant plus rare.

Pour apprécier l’anormalité du trouble, les tribunaux se fondent sur l’environnement et sur les constats qui auront pu être réalisés.

Enfin, la loi limite ce type d’action en responsabilité pour les dommages causés aux occupants d’un immeuble par des nuisances provenant d’activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques lorsque le permis de construire a été demandé postérieurement à l’existence de ces mêmes activités. Il s’agit du principe de préoccupation ou de la règle dite de l’antériorité. (art L 112-16 du code de la construction et de l’habitation)

Nathalie THIBAUD

Avocat spécialisé en droit de l’urbanisme

Coup de tonnerre dans le ciel Métropolitain : l’annulation du PLUi H de Toulouse Métropole et ses conséquences :

Le législateur depuis la loi n°2010-788du 12 juillet 2010 dite loi Grenelle II (loi portant engagement national pour l’environnement) a fortement incité les collectivités locales compétentes en matière de documents d’urbanisme à élaborer des Plans locaux d’urbanisme intercommunaux. La loi n°2014-366 du 24 mars 2014 dite loi ALUR (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) a renforcé cette incitation législative de manière à remplacer les documents d’urbanisme locaux (type POS ou PLU) existant sur les différentes communes de leur territoire par un document unique : le PLUi.

Le législateur a fait valoir la nécessité d’aborder les enjeux d’un territoire en matière de logements, d’économie, de mobilités etc…sur une échelle plus pertinente : celui d’une communauté de communes, d’une communauté d’agglomération ou encore celui d’une Métropole comme celle de Toulouse.

La Métropole Toulousaine ayant la compétence pour élaborer un PLUi a donc mis en œuvre ce document complexe à l’échelle des 37 communes membres qui la composent.

Par délibération en date du 09 avril 2015, le Conseil de la Métropole a prescrit l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal tenant lieu de Programme Local de l’Habitat (PLUi-H). Le conseil de la Métropole a arrêté son projet de PLUI-H selon délibération du 3 octobre 2017.

Une enquête publique a été arrêtée par le président de Toulouse Métropole du 30 mars 2018 au 17 mai 2018. Selon délibération en date du 11 avril 2019, le conseil de la Métropole a approuvé  le PLUi H.

41 requêtes ont été déposées contre cette délibération devant le tribunal administratif de Toulouse.

Le PLUi-H de Toulouse Métropole approuvé le 11 avril 2019 a été annulé par deux jugements du Tribunal Administratif de Toulouse du 30 mars et 20 mai 2021 : le jugement du 30 mars a annulé la délibération du 11 avril 2019 et celui du 20 mai s’est prononcé sur les effets de l’annulation dans le temps.

Les juges du tribunal administratif qui ont rendu ces décisions de manière collégiale, ont été soumis à une pression certaine mais ont jugé ce PLUi comme ils doivent le faire : c’est-à-dire sous l’angle de la seule légalité.

Il s’agit d’un véritable coup de tonnerre qui a rejailli au niveau national. Le PLUi H prévoyait de construire 7000 logements par an dont 35% de logements sociaux. Tous les promoteurs toulousains comptaient bien évidemment sur ce document d’urbanisme pour développer leurs projets.

De même les collectivités locales, en cours d’élaboration d’un PLUi, sont certainement depuis lors, très attentives au motif  qui a conduit à l’annulation de ce document.

La Métropole a relevé appel de ces jugements devant la cour administrative d’appel de Bordeaux et en a également sollicité leur sursis à exécution pour tenter d’obtenir la suspension de ces jugements.

Pourquoi ce document a-t-il été annulé en quelques mots ? : trop consommateur d’espaces naturels et agricoles :

Le PLUi H de Toulouse Métropole a été annulé en raison de l’insuffisance de son rapport de présentation. Le Point 16 du jugement du 30 mars 2021 précise :

« 16. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le rapport de présentation ne peut pas être regardé comme justifiant correctement du bien-fondé de l’extrapolation réalisée pour les cinq années précédant l’approbation du PLUIH ni, par conséquent, de la pertinence de l’analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers présentée pour la période de dix ans précédant cette approbation, laquelle repose sur des données significativement surévaluées par rapport à la réalité observée. Le document est donc effectivement entaché d’insuffisance, sur ce premier point, au regard des exigences issues de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme.

Pour résumer, le tribunal a considéré que le PLUi H était trop consommateur d’espaces naturels et agricoles. Or ces espaces depuis la loi Grenelle II et surtout la loi ALUR sont des espaces protégés dont la consommation doit être réduite drastiquement en vue d’ouverture éventuelle à l’urbanisation.

A la décharge de la Métropole, les textes relatifs à la planification urbaine n’ont cessé de rendre plus complexe l’élaboration des PLU ou PLUi en ajoutant dans les documents composant un PLU ou un PLUi notamment dans le rapport de présentation , des études, diagnostics, etc….

Le rapport doit ainsi présenter une analyse de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers sur les 10 années précédant la délibération arrêtant le projet de PLUi. C’est sur ce point précis que le tribunal a annulé le PLUi H de Toulouse Métropole.

Il doit également justifier les objectifs de modération de cette consommation et de lutte contre l’étalement urbain fixés par le PADD (projet d’aménagement et de développement durable) qui est un autre document constituant un PLUi.

Les effets de cette annulation :

Le principe lorsqu’un acte administratif est annulé, est celui d’une annulation rétroactive et d’une disparition de ce dernier de « l’ordonnancement juridique ». L’acte est censé n’avoir jamais existé.

Devant un tel effet, Toulouse Métropole a tenté d’obtenir du tribunal administratif une modulation des effets de cette annulation dans le temps en raison des inconvénients qualifiés d’excessifs attachés à l’annulation du PLUi H pour la Métropole notamment en matière de production de logements sociaux.

Le tribunal n’y a pas fait droit.

Ainsi, selon le jugement du 20 mai 2021 : « l’annulation du PLUIH de Toulouse Métropole aura pour conséquence de remettre en vigueur les 30 plans locaux d’urbanisme et 7 plans d’occupation des sols immédiatement antérieurs. Il n’en résultera donc pas une situation de vide juridique et, pour les 30 communes concernées, les plans locaux d’urbanisme pourront faire l’objet des procédures de révision ou de modification qui se révèleraient nécessaires dans l’attente de l’approbation d’un nouveau document intercommunal. Il est vrai qu’en application des dispositions de l’article L. 174-6 du code de l’urbanisme, les plans d’occupation des sols remis en vigueur dans les sept communes restantes ne demeureront applicables que pour une durée de deux ans, sans pouvoir faire l’objet d’évolutions, avant d’être remplacés par les règles nationales d’urbanisme si le nouveau PLUIH n’a pas pu être adopté dans l’intervalle. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ces sept communes ne représentent que moins de 10 % de la superficie totale de la métropole et moins de 5 % de sa population. »

Aujourd’hui, les communes se retrouvent parfois avec des documents d’urbanisme « obsolètes » et plus précisément celles qui sont revenues à un POS (plan d’occupation des sols issu la loi SRU de 2000). De tels documents ne sont pas adaptés à des projets de logements ambitieux.

A titre d’exemple, une commune comme Saint Jean, relativement importante, se trouve « freinée » dans le développement de son territoire en revenant au POS. D’autres au contraire, qui souhaitaient un développement mesuré de leur territoire, comme la commune de BRAX, se trouvent « mise en danger » considérant que d’anciennes zones classées en zone agricole par le PLUi H, sont de nouveau ouvertes à l’urbanisation.

De plus, les POS demeureront en vigueur mais seulement pendant deux ans. Ensuite, si la cour administrative d’appel ne s’est pas prononcée dans ce délai, elles passeront au RNU (règlement national d’urbanisme).

Le retour RNU signifierait le gel des constructions : c’est le degré « zéro » de l’urbanisation, en ce sens qu’il ne favorise pas du tout la constructibilité. Il a vocation à s’appliquer dans les communes qui ne disposent d’aucun document d’urbanisme.

En effet le RNU impose une règle de constructibilité limitée. Il ne permet que les constructions dans « les parties actuellement urbanisées » de la commune au sens de l’article  L111-3 du code de l’urbanisme.

Pour les 30 communes qui sont revenues à leur PLU, la situation est sans doute moins impactante car elles ont la possibilité de mettre en œuvre « des procédures de révision ou de modification qui se révèleraient nécessaires dans l’attente de l’approbation d’un nouveau document intercommunal ».

Il est un fait certain : ces jugements ont un impact fort sur le développement de la Métropole.

Il y a derrière ces décisions des conséquences économiques non négligeables (la promotion immobilière notamment)

Les juges de la Cour administrative d’appel auront la lourde tâche d’infirmer ou confirmer les jugements de première instance

Nathalie THIBAUD

Avocat spécialisé en droit de l’urbanisme et droit public