Servitudes d’utilité publique et droit de propriété :

Il s’agit de limitations administratives au droit de propriété, instituées par l’autorité publique. Ces limitations constituent des applications du principe de primauté de l’intérêt public sur les intérêts particuliers.

Ces servitudes constituent des charges portant sur des fonds déterminés. Elles sons instituées par des actes spécifiques en application de législations particulières, au profit de personnes publiques, de concessionnaires de services ou de travaux publics, de personnes privées exerçant une activité d’intérêt général.

Elles sont rarement indemnisées et si elles le sont, l’indemnisation a lieu dans des conditions strictes, particulièrement quant aux préjudices pris en compte.

 

Une pluralité de servitude d’utilité publique (SUP) :

Il existe différentes servitudes d’utilité publiques.

Elles existent de plein droit sur tous les immeubles concernés et peuvent aboutir :

  •  soit à certaines interdictions ou limitations à l’exercice par les propriétaires de leur droit de construire, et plus généralement le droit d’occuper ou d’utiliser le sol (alignement, site inscrit ou classé, plans de prévention des risques, etc…) : ce sont les servitudes d’urbanisme. Le code de l’urbanisme ne retient juridiquement que les servitudes affectant l’utilisation des sols, c’est-à-dire celles susceptibles d’avoir une incidence sur la constructibilité et plus largement sur l’occupation des sols.
  •  soit à supporter l’exécution de travaux ou l’installation de certains ouvrages , par exemple les servitudes créées pour l’établissement des lignes de transport d’énergie électrique (voirie, périmètre de protection de la qualité des eaux, etc… ;
  •  soit, plus rarement, à imposer certaines obligations de faire à la charge des propriétaires (travaux d’entretien ou de réparation).

 

Le cadre légal des SUP :

Les servitudes administratives ne peuvent être créées que par la loi, sauf accords sur les modalités d’établissement (par exemple les servitudes liées à l’occupation temporaire du domaine public).

Elles sont opposables à toute personne publique ou privée et ne s’éteignent pas par non-usage trentenaire. Les servitudes administratives ne sont donc éteintes que par leur abrogation, même si leur utilité a disparu.

La loi ALUR du 24 mars 2014 a assoupli la procédure de suppression des servitudes grevant les terrains pollués par l’exploitation d’une installation classée, lorsque cette servitude est devenue sans objet, de façon à ne pas bloquer de façon définitive la mutation des anciens sites ou sols pollués.

Diverses garanties pour les propriétaires concernés :

Diverses garanties sont prévues, spécialement le droit de délaissement.

Il s’agit d’une garantie efficace du droit de propriété qui s’analyse souvent en une expropriation dont le propriétaire prend l’initiative. En effet le droit de « délaissement » permet à ce propriétaire de contraindre le bénéficiaire de la servitude à acquérir le fonds grevé et ce moyennant indemnité.

Enfin, une servitude entraînant une dépossession excessive oblige l’Administration à exproprier l’assujetti.

Procédure pour établir ces SUP :

L’établissement des servitudes administratives se fait selon des procédures propres, respectant le droit à la participation et à l’information des assujettis, et comportant parfois enquête publique.

Ainsi les servitudes administratives suivent des règles de publicité propres, dont l’annexion au PLU, mais doivent parfois être déclarées, la publicité foncière ayant un rôle secondaire.

Les SUP s’imposent aux documents d’urbanisme et doivent être annexées au PLU. Cette annexion conditionne en effet leur opposabilité aux demandes d’autorisation d’occupation du sol. Ainsi à l’occasion du dépôt d’une demande de certificat d’urbanisme, toutes les servitudes administratives applicables doivent être mentionnées sur le certificat d’urbanisme.

L’indemnisation des servitudes :

Les solutions adoptées par le législateur vont du refus d’indemnisation à l’octroi d’une indemnité limitée ou quasi intégrale ; parfois même la loi est muette.

S’agissant de la réparation du préjudice subi par les propriétaires, le Conseil Constitutionnel a affirmé que « le principe d’égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d’exclure du droit à réparation un élément quelconque du préjudice indemnisable » résultant des travaux ou ouvrages réalisés en vertu de l’institution d’une servitude administrative.

Ce n’est donc pas la servitude qui est indemnisable mais ce sont les conséquences qui peuvent en résulter. Il faut un préjudice direct, certain, grave et spécial (qui touche un administré). L’indemnité éventuelle ne constitue pas le prix de la servitude.

Certains textes excluent formellement toute possibilité de réparation (décret 58-1316 du 23-12-1958 relatif aux routes nationales et aux autoroutes).

D’autres textes prévoient expressément une indemnisation couvrant l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain résultant de l’institution de la servitude (ex : le code des transports pour les infrastructures de transport par câbles en milieu urbain).

Il est également parfois prévu l’obligation pour les collectivités publiques d’acquérir les terrains assujettis lorsque le propriétaire le demande : terrains classés en emplacement réservé par un PLU, terrain destiné au passage d’une route, d’une canalisation, terrains devenus impropres à la culture, terrains soumis au droit de préemption urbain, ou encore des terrains situés dans les ZAC (zone d’aménagement concerté).

Par contre, les servitudes d’urbanisme sont par principe non indemnisables. La loi édicte en effet un principe de non indemnisation des victimes de servitudes établies par application du code de l’urbanisme en matière de voirie, hygiène et d’esthétique « ou pour d’autres objets », et concernant notamment l’utilisation du sol, la hauteur des constructions, la densité constructible, les interdictions de construire ou les reculements, la répartition des immeubles entre diverses zones (art L105-1 al1er du code de l’urbanisme).

Autrement dit, toutes les règles d’urbanisme édictées par un document local d’urbanisme (PLU), sont en principe exclusives de tout droit à indemnisation, quel que soit le préjudice qu’elles peuvent causer.

Ce principe de non-indemnisation est tempéré. Les servitude d’urbanisme ouvrent droit à indemnité s’il en résulte pour le propriétaire une atteinte à des droits acquis ou une modification de l’état antérieur des lieux. (art L105-1 précité). Par exemple, l’institution d’une servitude empêchant de construire alors qu’un permis de construire vient d’être obtenu, peut ouvrir droit à une indemnité.

De même si le propriétaire subit une charge spéciale et exhorbitante hors de proportion avec le but d’intérêt public motivant l’instauration de la servitude, une indemnisation peut être accordée si le préjudice est direct, matériel et certain.

Il en va ainsi par exemple pour les nuisances sonores provoquées par une autoroute passant à 37 mètres de la propriété et la surplombant de 2 mètres (CE, 5 nov. 1982, n° 25192, Sté Autoroutes sud de la France : JurisData n° 1982-042013 ; Lebon T., p. 747).

En revanche, a été considérée comme ne revêtant pas « un caractère anormal » la privation partielle de vue sur l’océan, du fait de la modification du tracé d’un boulevard (CE, 2 mars 1966, Rabeux : Lebon, p. 155).

En matière d’aménagement routier, le principe est que « les dommages tels que la dépréciation de l’immeuble ou la perte de clientèle dues aux modifications des courants de circulation ne sont jamais indemnisés.

Les conséquences des modifications de la circulation générale ne sont jamais considérées comme anormales, quelle que soit leur gravité » (CE, 26 mai 1965, min. Transports c/ Épx Tebaldini : Lebon, p. 737).

Il est fait exception pour des requérants riverains qui se voient totalement privés de tout accès à la voie publique, et qui subissent dès lors un préjudice anormal (CE, 29 mai 1974, Reyboz : Lebon, p. 326, suppression de l’accès à une station-service, du fait du remplacement d’une route par une autoroute ; CE, 30 juin 1976, SARL Martinet frères : Lebon, p. 345, suppression d’accès à l’entrepôt que possédaient les requérants, du fait de la substitution d’une autoroute à la route nationale qui le desservait originellement ; CE, 16 oct. 1992, n° 95152, Sté Garage de Garches : JurisData n° 1992-047385 ; Lebon T., p. 1380, transformation d’une rue en voie piétonne qui supprime la clientèle d’un garage, en rendant ses locaux inaccessibles à la circulation automobile. La perte de son fonds de commerce constitue pour la société un préjudice anormal et spécial).

Nathalie THIBAUD

Avocat spécialisé en droit de l’urbanisme